CONSEIL DÉPARTEMENTAL DU NORD
LUNDI 26 SEPTEMBRE 2022
RAPPORT DE LA MISSION D’INFORMATION ET D’ÉVALUATION SUR L’ALLOCATION PERSONNALISÉE D’AUTONOMIE
INTERVENTION DE MME CHRISTINE DECODTS
CONSEILLÈRE DÉPARTEMENTALE DU NORD
SEUL LE PRONONCÉ FAIT FOI
Monsieur le Président,
Chers collègues,
Le 17 septembre dernier, un grand quotidien de la presse régionale [La Voix du Nord pour ne pas le citer] évoquait dans un article le travail des aides à domicile.
Le journal décrivait une situation et des prestations qui « se dégradent de jour en jour » face au manque croissant de personnel confronté à – je cite – des « tournées XXL », des « cadences effrénées » et « des week-ends travaillés à foison ».
Les témoignages contenus dans l’article pointaient le manque de temps pour accompagner dignement les personnes âgées avec cet aveu désarmant : « rester quinze minutes chez un aîné, c’est de la maltraitance ».
Nous touchons ici le cœur de notre problématique : comment accompagner les personnes âgées dans la dignité ? comment favoriser leur maintien à domicile et leur autonomie tout en répondant à leurs besoins quotidiens ? comment rendre les services accessibles à tous les retraités y compris les plus modestes ? comment lutter contre les inégalités d’accès aux solutions entre les territoires ? comment, enfin, agir contre l’isolement social et la précarité économique chez les personnes âgées ?
Nous sommes aujourd’hui dans une double urgence : celle de répondre aux difficultés actuelles dans la prise en charge et l’accompagnement de nos aînés mais également celle de nous préparer au grand changement démographique qui est devant nous.
Rappelons les chiffres de la géronto-croissance.
D’ici 2030, le nombre de personnes de plus de 60 ans passera en France de 15 à 20 millions. Elles représenteront 1/3 de la population et les plus de 65 ans dépasseront en nombre les moins de 15 ans.
Le Nord suit la même courbe démographique qu’au niveau national. Selon les projections, le nombre de séniors va connaître une évolution de + 12 % d’ici 2030 comme le nombre de personnes dépendantes qui va lui aussi connaître une évolution de + 12 %.
C’est dire l’ampleur du vieillissement de la population et le défi de la prise en charge des séniors dans notre département. Mais c’est aussi un formidable atout.
Le vieillissement ne représente pas seulement un coût économique. Il s’agit d’une richesse en termes d’engagement citoyen, de bénévolat et de solidarité intergénérationnelle. Plus de la moitié des Maires élus en 2020 avaient plus de 60 ans. Dans les associations, 1/3 des bénévoles sont des retraités. Enfin, les séniors sont, nous le savons bien, des piliers du soutien familial à travers, par exemple, la garde des petits-enfants.
Ce que nous souhaitons, c’est construire une société du bien vieillir dans laquelle chacun peut choisir là où il veut vivre en fonction de ses besoins : chez soi, dans un logement inclusif ou dans un établissement.
Pour cela, nous devons bâtir un grand service public départemental de l’autonomie afin d’améliorer l’accès aux droits et de simplifier le parcours des personnes et des aidants.
Bien évidemment, beaucoup de choses devront se décider au niveau national. Le rapport le dit bien avec les préconisations de niveau 3 qui visent des évolutions structurelles législatives.
Je peux citer par exemple la nécessité d’améliorer la grille AGGIR pour mieux prendre en compte les maladies psychiques ou la nécessité – nous l’avons vu avec le scandale ORPEA – de repenser le modèle des Ehpad et de mieux réguler le secteur.
Toutefois, le Département du Nord garde une responsabilité de premier plan en tant que collectivité locale chef de file de l’action sociale et de la politique autonomie.
Nous devons, au plus près des territoires, accélérer la mise en œuvre de propositions et de solutions pour mieux accompagner les personnes âgées de notre département.
C’est l’objet de ce rapport sur le champ de l’autonomie : avoir une vision partagée, être d’accord sur les priorités opérationnelles et convenir des modalités de mise en œuvre les plus efficaces.
Avant d’évoquer les enjeux du rapport qui me semblent véritablement prépondérants, je souhaiterais tout d’abord adresser mes remerciements à Madame Valérie LETARD qui a mené d’une main de maître l’ensemble des auditions. Je souhaite également remercier le travail des collaborateurs de la Direction de la Modernisation et de l’Evaluation qui ont réalisé un travail exemplaire. Enfin, je voulais aussi remercier les personnes auditionnées au titre d’organismes extérieurs, de structures partenaires et d’acteurs de la politique autonomie : ils ont donné de leur temps pour que nous puissions construire cette réflexion partagée.
Je ne reviendrai pas sur le rapport in extenso. Les services nous ont d’ailleurs préparé une note de synthèse qui permet d’en retirer la substantifique moelle. Je préfère présenter les enjeux politiques qui me paraissent prioritaires à la fois personnellement comme rapporteure du rapport mais également collectivement au nom de mes collègues membres du Groupe Socialiste, Républicain et Citoyen.
De ce travail qui a duré 6 mois entre la première et la dernière réunion, je retiendrais pour ma part 3 enjeux :
- l’enjeu de la concertation,
- l’enjeu de la proximité,
- l’enjeu du financement.
Concernant le premier enjeu de la concertation, nous avons tous été surpris par l’absence d’échange entre le Département du Nord et ses partenaires de terrain que sont les services d’accompagnement et d’aides à domicile.
Le Département du Nord doit renouer le dialogue avec les structures.
Nous connaissons leurs difficultés de financement et nous savons que le secteur rencontre depuis plusieurs années des problèmes structurels avec une pénurie de personnels et un manque d’attractivité des métiers.
Le Département du Nord ne peut pas les ignorer.
Les services d’aides à domicile ont trois grandes revendications :
- la prise en charge des majorations pour les dimanche et jours fériés,
- la prise en compte des frais de transport,
- l’amélioration des conditions de travail pour la qualité de vie face à la pénibilité du métier.
Il y a également une urgence qui est celle de la compensation de l’avenant 43 actuellement sous-dimensionnée. Nous ne pouvons pas nous permettre de voir des structures en déficit mettre la clé sous la porte et laisser des personnes âgées sans solution.
Je ne crois pas du tout à la généralisation de l’emploi direct qui présente de nombreux inconvénients : non continuité de service en cas d’absence, fonction employeur pour la personne accompagnée ou encore faible salaire pour l’aide à domicile.
Les SAAD sont et vont rester des partenaires incontournables pour l’immense majorité des personnes dépendantes.
C’est pourquoi, le Département du Nord doit entamer un véritable dialogue de gestion et prendre effectivement en compte les surcoûts réels des structures relevant de la Branche de l’Aide à Domicile.
Concernant l’enjeu de la proximité et des moyens humains, nous sommes là aussi à la croisée des chemins.
Entre 2012 et 2021, le nombre de demandes d’APA a augmenté de 26 % alors que les postes d’Evaluateurs Médico-Sociaux n’ont augmenté que de 19 % tout en ayant d’autres missions que l’évaluation de l’APA comme l’accueil familial.
Le délai de réponse de 60 jours pour une demande d’APA n’est pas respecté et varie fortement entre les territoires. On peut aller jusqu’à 5 à 6 mois pour les cas les plus complexes : ce n’est pas normal.
Il y a un besoin pressant de renforcer ressources humaines afin de se caler au niveau des besoins concernant le traitement des demandes d’APA.
La proximité, c’est la possibilité pour une personne âgée ou son aidant de trouver un interlocuteur, un contact humain qui pourra les conseiller, les orienter, suivre leur demande.
Il faut prendre garde, le numérique n’est pas la réponse à tout.
Les personnes âgées sont attachées à la plateforme téléphonique qui malheureusement a un délai de réponse beaucoup trop long de 45 minutes selon un témoignage : les effectifs doivent être renforcés.
Dans les territoires, les Relais autonomie ont un rôle à jouer. Les personnels doivent être formés. Ils doivent être en lien avec les professionnels de santé et les structures partenaires qui sont sur le terrain auprès des personnes âgées.
Enfin, le troisième et dernier enjeu est celui du financement.
Dans notre département, 14,9 % des plus de 75 ans bénéficient actuellement de l’APA à domicile contre une moyenne nationale de 12,1 %.
Le Nord comptait en 2016 27 415 bénéficiaires de l’APA à domicile. Ils sont passés à 32 402 bénéficiaires en 2020.
Le coût de l’APA est loin d’être anecdotique. En 2021, l’APA représentait 9,2 % des dépenses de fonctionnement du Département du Nord. Entre le Budget Primitif 2019 et le Budget Primitif 2022, les dépenses d’APA ont augmenté de 24%, soit une augmentation 55 millions d’euros !
Le taux de bénéficiaires de l’APA dans le Nord est supérieur au taux national. Les données de santé et le niveau de précarité expliquent ce pourcentage : 14,9 % des 75 ans et plus bénéficient dans le Nord de l’APA à domicile contre 12,1 % en moyenne en France.
Il y a un énorme travail de prévention à mener pour réduire les risques de dépendance et de coûts induits. Nous n’en verrons pas les fruits dans l’immédiat mais les économies seront assurées à moyen et long terme. C’est selon moi le seul véritable vecteur d’économies afin de maîtriser dans le futur les dépenses liées à l’APA.
Enfin, en conclusion, je souhaiterais que nous puissions évoquer et définir les modalités du suivi de ce rapport.
Didier MANIER demandait lors de la dernière réunion de la Mission d’Information et d’Evaluation que le rapport puisse donner lieu à la présentation d’une délibération cadre sur l’APA et la politique autonomie.
Il s’agit de se doter d’une feuille de route avec des objectifs précis assortis d’engagements budgétaires.
Je pense que c’est le meilleur moyen de valoriser cette réflexion et de faire vivre ce rapport à plus longue échéance.
Il serait dommage de ne pas assurer de suivi des nombreuses préconisations qui pourraient être priorisées et hiérarchisées dans une délibération cadre.
Voilà, chers collègues, en quelques mots ce que je souhaitais dire sur ce rapport relatif à l’APA et à la politique autonomie.
Nous sommes sur une grande transition démographique qui nécessite de construire une société du bien vieillir et d’agir pour ne pas laisser de personnes âgées démunie et sans solution. C’est notre responsabilité d’élus départementaux durant ce mandat.
Je vous remercie de votre écoute.